Transports et mobilités en ruralités – Les propositions

Posté le 11 juillet 2023

Ce document correspond au rendu final d’un groupe de citoyens qui a travaillé sur cette thématique dans le cadre du comité « Ruralités » mis en place par le député Jean-Claude Raux. Réunis une première fois pour échanger sur le sujet, partager des témoignages et des besoins ressentis dans la circonscription, le groupe a ensuite fait le choix d’auditionner des personnes ressources pour collecter davantage de réflexions et d’informations sur les mobilités et transports en ruralité. Ainsi, Lucie Etonno (conseillère régionale EELV des Pays-de-la-Loire, membre de la Commission « Infrastructures, transports et mobilités durables ») et Lucille Morio (doctorante CIFRE auprès de la Communauté de communes Erdre et Gesvres, elle travaille sur le développement du vélo dans les territoires peu denses).

Encadré 1 – L’importance de la voiture en quelques chiffres

En France, pour les distances inférieures à 5 kilomètres, la voiture représente encore 60 % des déplacements domicile-travail. Cette prééminence de la voiture s’explique notamment par l’allongement des distances parcourues quotidiennement par les actifs. Si en 1975, 44% des actifs travaillaient en dehors de leur commune de résidence, et que la distance moyenne entre le domicile et le travail était de 7 kilomètres, cette réalité́ concernait 64% des actifs avec une distance moyenne de 15 kilomètres en 2013. L’augmentation de la distance a accru la dépendance à la voiture.

En Pays-de-la-Loire, entre 2008 et 2015, les déplacements ont fortement augmenté, et ce tant en nombre (+15%) qu’en distance. Les trajets domicile-travail sont ainsi passés de 11 à 12 km en moyenne entre 2010 et 2015, principalement en raison de la poursuite de l’étalement urbain. Par conséquent, la part de la voiture est largement majoritaire et ne recule pas : 80% des ligériens l’utilisent pour se rendre au travail. Cette part est cependant très différente en fonction des territoires, des distances à parcourir et de la présence ou non de transports collectifs (50% pour les Nantais contre 86% pour les habitants des communes peu denses). Si la fréquentation des transports collectifs a nettement progressé en quinze ans (que cela soit les grandes agglomérations (+65% depuis 2002) et sur le réseau TER (+63% depuis 2004), les mobilités douces n’ont, elles, pas connu cette évolution sur la période puisque seuls 2,4% des ligériens se rendaient au travail à vélo en 2015 (le vélo recommence regagne du terrain depuis la pandémie de Covid-19, mais essentiellement dans les grandes agglomérations).

Face à cette réalité, plusieurs problèmes sont à poser sur ce sujet dans notre territoire rural : 

1/ Le règne de l’« auto-solisme ». L’auto-solisme désigne le fait de prendre sa voiture seul. Cela fait partie des comportements à changer pour continuer d’utiliser la voiture de façon soutenable ;

2/ Le manque d’offre de transports en commun et d’infrastructures pour les mobilités douces ; 

3/ Le manque de visibilité des offres de mobilités alternatives à la voiture et la pédagogie à leur égard.

C’est pourquoi la problématique générale qui a guidé nos travaux est la suivante : Comment se déplacer avec moins de voitures en pensant une alternative écologique accessible et désirable ?

1. Proposer un « bouquet d’offres » de mobilités

La notion de « bouquet d’offres » renvoie au fait de ne pas supprimer la voiture mais de proposer, à côté d’elle, plusieurs autres (offres) alternatives. L’objectif est celui d’une transition qui n’exclut pas la voiture mais qui répond au besoin de sobriété et de changement des comportements, avec des valeurs de partage et des usages plus collectifs et écologiques. 

A. Développer et diversifier l’offre des transports en commun

Développer les bus en milieu rural qui relient les communes aux métropoles, mais aussi ceux qui relient les communes aux communes-centres et les communes entre-elles. Typiquement dans la circonscription, cela signifie de structurer un réseau qui permet des trajets vers les communes-centre (Chateaubriant, Ancenis, Redon, Blain, Nozay, Guémené) et vers les métropoles (Nantes, Rennes).

Aussi, il faudrait renommer les transports scolaires par exemple en « transports intercommunaux » (qui ne transporteraient pas que des scolaires) et augmenter les cadencements (comme les métros de surface) ; organiser un réseau de manière à ce que les bus desservent les gares selon les horaires de train.

Développer les trains et les tram-trains : Il est nécessaire que les pouvoirs publics investissent massivement pour desservir les gares des communes rurales où des infrastructures existent. La politique tarifaire doit également être revue pour qu’elle soit accessible et incitative en comparaison à la voiture individuelle.

Encadré 2 – L’exemple d’Urbanloop à Nancy

Des chercheurs de l’Université de Nancy ont pensé leur propre offre de mobilité qui a été reprise par la municipalité et qui devrait être inaugurée en 2026. C’est le projet Urbanloop. Transformé en start-up, les ingénieurs ont conçu un mode de transport unique au monde : des capsules individuelles écologiques gérées par une intelligence artificielle. Une première mise en service est prévue pour les Jeux Olympiques de 2024 à Paris.

Concrètement, il s’agit d’une capsule de transport écologique et économique, pour rejoindre le centre-ville ; un nouveau mode de transport en commun, autonome et individuel, constitué de boucles interconnectées. Les capsules circulent sur rails, et sont alimentées par de petits moteurs électriques qui se rechargent en roulant. Les navettes pourront atteindre les 60 kilomètres par heure et les utilisateurs pourront voyager sur des trajets allant de 1 à 25 kilomètres d’une station à l’autre, sans arrêt ni correspondance.

Cette navette sans pilote est présentée comme le moyen de transport le plus propre et le plus économique au monde avec un demi-centime dépensé par kilomètre. L’objectif est le suivant : Faire disparaître les voitures des centres-villes. Urbanloop sera aussi plus écologique puisque ses rejets sont inférieurs de 60% à ceux d’un métro.

Globalement, que cela soit en termes de développement de l’offre de transports en commun, d’horaires ou de tarifs, il est nécessaire d’investir massivement dans des infrastructures d’ampleur afin de favoriser l’usage des mobilités collectives.

B. Développer le covoiturage et sa visibilité

Dans un contexte où le réseau routier structure la grande majorité des déplacements, le covoiturage représente une solution incontournable aux défis écologiques et sociaux auxquels nous faisons face. Pour être efficace, la politique publique de covoiturage d’un territoire doit être déployée sur la base d’une compréhension fine de ses spécificités, des besoins de sa population et des flux de véhicules. Autrement dit, ce nouveau transport collectif ne s’adapte pas à toutes les configurations et doit être pensé en complémentarité avec d’autres modes de transport collectif ou de mobilité douce. Pourtant, la pratique peine à véritablement se développer, alors même que nombreux sont les citoyens à effectuer les mêmes mobilités aux mêmes moments. La question de la rencontre entre l’offre et la demande se pose donc. 

Hormis Blablacar (devenue, en moins de 15 ans, la référence en matière de longs trajets et valorisée aujourd’hui à plus d’un milliard de dollars), aucune plateforme de covoiturage dédiée aux mouvements pendulaires sur courtes distances n’a rencontré de véritable succès d’utilisation. Fort de ce constat, six collectivités locales de l’ouest (dont la Région Bretagne, le Conseil départemental du Finistère ainsi que les métropoles de Brest, Rennes, Nantes et Saint-Nazaire sans oublier l’ADEME et la DREAL) ont créé, en mai 2018, « Ouestgo, le premier service de covoiturage de proximité à la fois convivial et solidaire ». A l’image de Blablacar, le principe est simple : il suffit de renseigner son lieu de départ et son lieu d’arrivée et la plateforme vous met directement en relation avec un conducteur qui aura proposé un itinéraire en correspondance. Ce dispositif semble fonctionner davantage en Bretagne qu’en Pays-de-la-Loire, il est nécessaire de veiller à la diffusion de cet outil. 

Plus largement, la sensibilisation et la mise en relation des potentiels covoitureurs peut venir des employeurs (à l’échelle de l’entreprise) ou bien des collectivités locales (essentiellement les mairies, surtout en zone rurales).

Pour tester les trajets près de chez vous, n’hésitez pas à cliquer ici.

Développer le covoiturage spontané : C’est ce qu’a notamment fait l’agglomération du Grand Chambéry qui a mis en place un système de covoiturage simple et innovant dans le but de relier les communes de montagne entre elles. Comment cela fonctionne ? Le réseau de lignes de covoiturage fonctionne de façon 100% physique, gratuite pour le passager et sans application mobile. Les arrêts de covoiturage (définis préalablement par la collectivité) sont équipés d‘un panneau lumineux, relié à un boîtier connecté, proposant 6 destinations. Le service fonctionne sur un principe de solidarité, avec un taux d’arrêt spontané des conducteurs très élevé. Pour les passagers, il suffit de se rendre à l’arrêt de son choix et d’appuyer sur le bouton pression afin d’être visible pour les conducteurs. Pour ces derniers, ils prennent les passagers directement sur les arrêts de covoiturage dédiés et ce gratuitement. A certains égards, le dispositif se rapproche des points stop. 

A Chamébry, le covoiturage spontané représentait près de 300 trajets covoiturés par semaines en 2020 pour un temps d’attente moyen de 3 à 6 minutes, avec des départs souvent instantanés. Pour en savoir plus cliquez 👉 ici. Plus largement, pour obtenir davantage d’informations et d’expertise sur le covoiturage, vous pouvez visiter le site de l’Observatoire du covoiturage en cliquant 👉 ici.

C. Développer les mobilités douces à l’instar du vélo

La moitié des trajets inférieurs à 5km pourrait être réalisée à vélo. Du fait de la diffusion des vélos à assistance électrique pour les dénivelés, cette distance peut passer à 7km. Cela peut passer essentiellement par trois volets :

☘️ Favoriser l’achat et l’entretien de vélos : Il faut développer les aides à l’achat de vélo ainsi que les aides à la réparation. La location longue durée comme les bornes de vélo en libre-service dans nos zones rurales doivent également être développées.

☘️ Développer les pédibus et les vélobus, notamment pour les scolaires. Le pédibus consiste à encadrer à plusieurs parents un groupe d’enfants se rendant à pied à l’école, le vélobus, c’est la même chose, mais à vélo. Ce mode de transport peut se traduire par la file de différents vélos ou bien par un unique vélo collectif (comme aux Touches sur la photo ci-dessous). Au-delà de la dimension écologique, c’est également une initiative qui permet la sensibilisation aux éco-déplacements et ce, dès le plus jeune âge. 

D. Développer les dispositifs de transport solidaire

Qu’est-ce que le transport solidaire et comment est-ce que cela fonctionne concrètement ? Une base de données est constituée par les mairies pour recenser les chauffeurs solidaires volontaires. La mairie prend à sa charge les assurances des chauffeurs. Ces derniers s’inscrivent pour couvrir des plages horaires. La mairie s’occupe ainsi de recevoir la demande de trajets et met en lien la personne demandeuse du service avec le chauffeur. Le prix du chauffeur est plafonné à 40 centimes du kilomètre. Le dispositif comporte néanmoins certaines limites (il n’est pas une solution alternative à l’autosolisme, il est nécessairement anticipé et peu flexible notamment) ; surtout, il ne peut constituer une seule et unique réponse aux problèmes de mobilité et nécessite d’être fondu dans un bouquet d’offres plus large. Néanmoins, il correspond à une demande importante sur nos territoires ruraux, notamment pour les personnes âgées. 

2. Penser la transition pour une offre écologique pérenne

A. Les enjeux économiques et financiers

Il est urgent de réaffirmer notre attachement à un véritable service public des transports. Ainsi, l’accès aux transports en commun doit être assuré par un financement public garanti permettant que l’aspect financier ne soit pas un frein à leur usage. 

Une autre piste possible est celle de l’instauration du « billet unique » pour un trajet complet cumulant plusieurs opérateurs. Le billet unique, comme son nom l’indique, permet de voyager en cumulant plusieurs modes de transports (train, tramway, covoiturage, vélo en libre-service par exemple) rassemblé en un seul titre de transports. Ce dernier simplifierait grandement les déplacements qui comportent plusieurs types de transports différents. Aussi, le « billet unique » permet de faciliter les réservations et la lisibilité de l’offre et son accessibilité. C’est par exemple ce qui est développé en Suisse où le réseau de transport est très dense. La réservation du billet unique s’effectue par un service centralisé qui répartit, par la suite, le prix du billet aux différents opérateurs concernés par le trajet. Cela pourrait être expérimenté à l’échelle des Régions.

Autre exemple intéressant, celui de l’Allemagne qui a mis en place un pass unique (à 49 euros) qui est valable sur toutes les lignes régionales, ce pass est très largement financé par l’Etat et les landers allemands.

Afin de garantir un accès large, il est nécessaire de mettre en place la tarification sociale des transports afin que les usagers payent selon leurs revenus. S’il s’agit évidemment d’un coût financier, il s’agit néanmoins d’un investissement nécessaire pour la transition écologique. 

Encadré 3 – Une politique cyclable ambitieuse du département de Loire-Atlantique

Le Conseil départemental de Loire-Atlantique a présenté un « plan vélo » très ambitieux, il prévoit de relier toutes les communes du département entre elles à l’horizon de 2032 en doublant les voies aménagées (de 3000 à 6000 kilomètres). Concrètement, 140 millions d’euros sont mis sur la table en parallèle de l’abandon de nombreux projets routiers. La mise en œuvre administrative d’un tel programme suscite une double problématique d’ingénierie et de ressources humaines. Si des moyens humains ont été alloués, cela ne signifie pas nécessairement que les agents qui travaillaient sur les projets routiers qui ont bifurqué sur le projet vélo/route aient été formés sur la pratique cycliste et ses enjeux. 

Aussi, le Département organise chaque année, à l’initiative de son service « Mission vélo », une journée rassemblant les principaux acteurs et agents des collectivités du territoires (chargés de missions des Établissements publics de coopération intercommunale, EPCI, et les principales associations de promotions et d’usagers du vélo. Ce rendez-vous est précieux pour penser collectivement le développement des mobilités douces et ses infrastructures.

De manière générale, la promotion du vélo nécessite des moyens humains dans les administrations. On estime qu’il faudrait 6 ETP (Équivalents Temps Plein) pour 100 000 habitants pour l’infrastructure ; actuellement, la moyenne nationale s’élève à 2,5 ETP dans les EPCI. 

Au niveau national, au vu de l’engouement qu’a connu le vélo ces dernières années (+52% entre 2017 et 2023), le gouvernement investit 2 milliards d’euros d’ici à 2027 (soit 500 000 euros par an) pour les infrastructures, la sécurité et la formation à la pratique du vélo. Plus largement, l’exécutif souhaite atteindre l’objectif de 100 000 kilomètres de voies cyclables en France, d’ici 2030.

Surtout, l’urgence c’est d’intégrer les politiques cyclables dans l’ensemble des politiques publiques (santé, aménagement du territoire notamment) afin d’en faire un sujet transversal. 

B. Les enjeux institutionnels

Il est urgent d’articuler les politiques mises en place par les différentes collectivités (Etat, régions, départements, intercommunalités et communes) pour avoir une vision commune, claire, et un financement pérenne. Cette urgence est d’autant plus grande dans les espaces ruraux, ou faiblement urbanisés, car les déplacements pour accéder à un service ou exercer une activité peuvent être plus longs que dans les zones urbaines, et sont majoritairement réalisés en voiture. La faible densité démographique, l’offre réduite en transports en commun et l’éloignement des pôles administratifs, culturels et économiques ont induit une dépendance des populations à la voiture. Il faut donc pousser les acteurs locaux ruraux à élaborer conjointement un plan de mobilité rurale, c’est un nouvel outil pour la planification des déplacements (mis en place par la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte). Cet outil de politiques de déplacements vise à proposer une approche globale de la mobilité sur un territoire rural en cherchant l’équilibre et la conciliation des différents modes de transports. Ainsi, il est nécessaire de vivement encourager l’ensemble des collectivités à produire collectivement un plan pour les mobilités durables sur les « bassins de mobilités ». Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) a ainsi publié un guide visant à appuyer les acteurs locaux dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’élaboration de ces nouveaux plans. Il fait référence à des expériences locales de mise en œuvre de solutions de mobilité, afin d’illustrer les différences possibilités sur ces territoires peu urbanisés. Il est disponible à partir de ce 👉 site.

Encadré 4 – Bassins de vie et bassins de mobilités

Les « bassins de mobilités » ont été définis par la loi LOM (Loi d’orientation des mobilités de 2019), il s’agit d’un découpage territorial au sein duquel s’organisent les mobilités quotidiennes. L’échelle du bassin de mobilité́ est adaptée pour travailler avec les intercommunalités sur les solutions de mobilité de proximité́ (transport à la demande, covoiturage, vélos, mobilités solidaires, navettes locales…). Ils ont été construits à partir de l’analyse des flux de déplacements des Ligériens, en respectant les limites des EPCI et en intégrant autant que possible les échelles de coopération existantes (Scot, PETR, GAL, Pôle métropolitain).

Les « bassins de mobilités » de la 6ème circonscription de Loire-Atlantique

Les « bassins de mobilités ne doivent pas être confondus avec les « bassins de vie ». Le découpage de ces derniers a été réalisé pour faciliter la compréhension de la structuration du territoire de la France métropolitaine. Le bassin de vie constitue le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants (notamment en termes de services publics). Complémentaire au zonage en aires d’attraction des villes, ce zonage permet l’analyse de la répartition des équipements et de leur accès. Un de ses grands intérêts est de décrire les espaces relativement peu peuplés.

Les « bassins de vie » de la 6ème circonscription de Loire-Atlantique

« Aides-soutien-ciblage » : triptyque méthodologique pour une mobilité réussie ? Lucie Etonno a évoqué ce triptyque pour aider le développement des alternatives à la voiture. Ce triptyque rappelle les trois composantes d’un aménagement d’une mobilité réussie selon Vincent Kaufman (2008) :

  • Compétence (l’individu a les capacités, les outils, la connaissance de l’offre et les bonnes informations sur l’offre de mobilité) ; 
  • Accessibilité (le prix est jugé acceptable, les horaires et les itinéraires sont fonctionnels et adaptés) ; 
  • Appropriation (l’individu se reconnaît dans l’offre, l’apprécie, en fait un usage régulier en lien avec son mode de vie).

C. Les enjeux liés à l’aménagement du territoire

La question des transports et mobilités est en réalité très liée à celle du logement. En effet, il est nécessaire de penser l’aménagement du territoire et une politique du logement cohérente qui allie davantage les liaisons travail/logement. Concrètement, il s’agit de mettre en place des aides pour faciliter la location ou l’achat immobilier à proximité du lieu de travail (en conditionnant par exemple les octrois de prêts, en accordant des aides fiscales ou à l’inverse en instaurant des effets dissuasifs pour un emménagement trop éloigné du lieu de travail). Les défis en matière d’urbanisme sont donc nombreux.

Le développement des mobilités douces, et en particulier du vélo, nécessite des infrastructures dédiées et sécurisées. En effet, un chiffre doit nous interpeller : 245 cyclistes ont été tués en 2022, dont la moitié sur des routes de campagne. Étant donné que la pratique du vélo a énormément augmenté en ville, il faut comprendre que la pratique du vélo en zone rurale est beaucoup plus mortelle qu’en ville. En effet, les accidents de vélo sont plus graves et proportionnellement beaucoup plus fréquents en zone rurale qu’en ville. Le cycliste est blessé légèrement dans 70 % des cas en zone urbaine, contre 32 % hors agglomération. Deux raisons principales expliquent ce différentiel : la vitesse est beaucoup plus importante sur les routes de campagne (80 % des personnes tuées en milieu rural le sont hors intersection) et l’aménagement du partage de la chaussée est beaucoup moins développé en zone rurale. Il y a donc urgence à développer, à pérenniser et à sécuriser les infrastructures dédiées au vélo, avec une combinaison en intermodalité dans les milieux ruraux (en lien avec les transports en commun). 

Deux types d’infrastructures sont alors possibles et pertinents selon les spécificités des routes :

☘️ En cas de route très circulée et à la vitesse élevée, la hiérarchisation ne suffit pas, un site propre séparé est nécessaire. Il s’agit de reconstruire, en dehors de la route, un espace dédié au vélo. Cela peut se traduire par des voies vertes. Une autre possibilité consiste à utiliser le réseau routier communal (les routes de campagne) qui peut devenir quasi-exclusivement dédié aux vélos. Des expérimentations sur la communauté de communes d’Erdre et Gesvre (notamment à Nort-sur-Erdre) se sont révélées très appréciées des habitant·es et ont considérablement développé l’utilisation du vélo (et ce à tout âge) ; deux ans plus tard, l’expérimentation est devenue pérenne.

☘️ Dans le cas des routes peu circulées, la mise en place « chaussidoux » ou de chaussée à voie centrale banalisée (CVCB). Cette infrastructure provient des Pays-Bas, pays où la pratique du vélo est très importante et qui vise à rendre le vélo prioritaire dans l’ordre de la circulation. Le chaussidou est simple et peu coûteux à mettre en place (il nécessite quasi-uniquement de la peinture) et consiste à réutiliser l’existant. Il est nécessaire que la vitesse de circulation soit faible et un travail de pédagogie auprès des usagers. 

Un « chaussidou » ou chaussée à voie centrale banalisée (CVCB)

3. Comment accompagner la transition écologique des mobilités et étendre les alternatives à l’« autosolisme » désirables ?

Deux constats sont frappants : premièrement, si parfois l’offre de transports alternatifs à la voiture n’existe pas, parfois elle existe mais n’est pas pour autant utilisée. Comment l’expliquer et comment faire en sorte que les offres alternatives soient connues et envisagées par les habitant·es ? Deuxièmement, il convient de s’attaquer à l’idée selon laquelle l’autosolisme symboliserait l’autonomie et la liberté (je peux me déplacer où je veux et quand je veux) et montrer que d’autres mobilités sont plus désirables. Abandonner le « tout-voiture » n’est pas une régression, au contraire !

A. Un travail de pédagogie concernant l’offre disponible

Même quand l’offre existe, elle n’est pas nécessairement empruntée. C’est par exemple le cas en Suisse : comment expliquer que l’usage de la voiture (et l’auto-solisme) ne diminue pas alors que l’offre de transports est considérable et se développe continûment ? Le même constat peut être posé concernant les villes françaises : alors que les transports en commun sont nombreux, l’auto-solisme demeure, les individus continuent d’utiliser leur voiture alors qu’ils pourraient effectuer ce même déplacement en transports en commun ou en mobilité douce avec un délai de transports quasi-similaire (voire inférieur). A titre indicatif, 59% des habitants des villes-centre se rendent en voiture à leur travail. Ainsi, comment faire en sorte que l’offre soit connue et qu’elle soit utilisée ?

La création d’un instrument public recensant l’ensemble des mobilités possibles et d’un guichet unique des transports. Le Conseil régional des Pays-de-la-Loire a mis en place un outil recensant l’ensemble des offres de mobilités régionales : le site « destineo.fr ». Au vu du déploiement notamment de Google Maps, cette application a été délaissée. De plus, le site ne permettait pas d’acheter son billet. Pourtant, un instrument public (une application par exemple) recensant l’ensemble des mobilités possibles (y compris les espaces de co-voiturage, les stations de vélo en libre-service, etc.) pourrait s’avérer très pertinent. Le tout-numérique n’étant pas une option, cet instrument public devrait impérativement être complété par l’instauration de « guichets uniques des transports et mobilités » qui seraient adaptés aux horaires des actifs.

B. La sensibilisation du public aux alternatives souhaitables et bien vécues : la construction d’un récit désirable autour de la fin de l’autosolisme

Si la voiture individuelle est souvent perçue comme le signe de la liberté et de l’indépendance, on insiste au contraire rarement sur le caractère précisément non désirable de l’auto-solisme, et ce au-delà du seul argument écologique (temps passé dans les embouteillages, humeur suite aux tensions sur la route, coûts des carburants et des assurances). A l’inverse, les citoyens qui empruntent les transports en commun louent souvent la possibilité de lire, de se reposer, d’écouter de la musique durant leur temps de transport. Ceux qui font du vélo mettent également en avant le caractère sportif de leur déplacement. Le covoiturage permet de la sociabilité et de mutualiser les frais. Il est temps de construire un nouveau récit qui positive les alternatives à la voiture afin de faire évoluer les mentalités et les représentations.

L’exemple du vélo. La campagne de la « Fédération des Usagers de la Bicyclette » (FUB) réalise tous les trois ans une grande enquête auprès des cyclistes. Elle les interroge sur leur satisfaction et/ou de leurs difficultés afin d’améliorer autant que possible ce mode de transport. Cette sensibilisation est également organisée par le tissu associatif autour du vélo :

☘️ Sensibiliser les scolaires (« savoir rouler à vélo ») ; 

☘️ Sensibiliser les acteurs publics et privés sur leur rôle incitatif : il convient de mobiliser les employeurs car ils ont aussi intérêt à inciter leurs salariés (label « employeur pro-vélo », parking, douches, location…) ; 

☘️ Faire un travail de communication et de visibilité médiatique sur les bienfaits et apports du vélo par rapport à l’autosolisme.

Plus largement, du 16 au 22 septembre 2023 se tiendra la semaine européenne des mobilités. Cet évènement a pour objectif d’inciter les citoyens et les collectivités dans de nombreux pays européens à adopter une démarche éco-citoyenne pérenne en privilégiant les déplacement doux et alternatifs à la voiture particulière : transports publics, covoiturage, autopartage, vélo… Le thème de l’édition 2022 ? « Pour de meilleures connexions, combinez les mobilités ! » Et celui de 2023 ? « Save Energy ! »

C. La « communication engageante » : un outil ressource pour la transition des actions individuelles

Le psychosociologue Ghislain Bourg a consacré sa thèse de doctorat à « L’apport de la communication engageante et des représentations sociales dans le cadre de la promotion de l’éco-mobilité ». Ses travaux permettent de dégager plusieurs enseignements :

☘️ Les individus font face à un phénomène de double contrainte entre les enjeux du développement durable et les obligations quotidiennes (entre l’écologie et ce qui est perçu comme un confort : la liberté de déplacement individuel via la voiture). L’individu reconnaît les conséquences négatives sur l’environnement de l’utilisation de la voiture mais justifie sa pratique par un besoin de flexibilité important ;

☘️ La communication engageante a un effet positif sur l’intention d’utiliser un mode de transport alternatif à la voiture mais pas nécessairement sur les comportements réels. C’est ce que Ghislain Bourg a appelé le modèle du Rubicon ; 

☘️ Il est donc nécessaire d’identifier les différents obstacles afin de les réfuter un à un en apportant des solutions simples et claires. Il faut persuader l’individu que ses obligations quotidiennes ne sont pas incompatibles avec des mobilités alternatives, voire qu’elles correspondent à un nouveau confort. L’enjeu est de permettre à l’individu de s’approprier le comportement plutôt que ses conséquences

☘️ Le recours à la communication engageante et sa réussite nécessite une dimension progressive. Les interventions doivent s’effectuer en plusieurs phases adaptées aux différentes étapes de changement dans lesquelles les individus se trouvent pour les aider à passer aux étapes suivantes.

D. Les ravages de la publicité : questionner nos besoins réels

Comme le soulignait notamment les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, le piège serait de considérer que des solutions techniques identifiées vont nous permettre de conserver notre mode de vie (comme les voitures électriques, les avions à hydrogène ou encore les tomates sous serre). La sobriété écologique c’est avant tout le fait de questionner nos besoins. A-t-on besoin du dernier SUV qu’on nous vend dans les publicités ? Dans ses propositions, la Convention citoyenne pour le climat a suggéré la mise en place d’une loi Evin sur la publicité qui inscrirait sur les produits néfastes « En avez-vous vraiment besoin » ? A-t-on besoin d’aller passer un week-end à Barcelone pour 20 euros ? A-t-on besoin du dernier modèle automobile permettant davantage d’options ? La question de la régulation de la publicité s’impose. A l’image des campagnes de santé publique nationales sur les fruits et légumes ou sur la prévention routière, le slogan « En avez-vous vraiment besoin ? » devrait s’imposer dans nos paysages. 

Encadré 5 – Quelques chiffres sur les budgets des mobilités et de la publicité

☘️ En 2020, avec 2 684 800 vélos vendus, la filière vélo affiche plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires ;

☘️ En France, l’ensemble des dépenses de publicité et de communication du secteur automobile s’élevait à 4,6 milliards d’euros en 2020 (4,3 milliards d’euros en 2019, 3,5 milliards d’euros en 2018) ;

☘️ A titre de comparaison, ces montants sont supérieurs au budget annuel des transports express régionaux (TER) de l’ensemble des régions françaises ;

☘️ A chaque fois qu’un·e Français·e achète une voiture neuve, il paye en moyenne 1 500 € de publicité (dit autrement, ramené à chaque véhicule vendu, le prix de vente est de 1500 € plus cher en raison du coût des dépenses de publicité et de communication du secteur automobile) ;

☘️ En France, les constructeurs automobiles consacrent 42% de leurs dépenses publicitaires à la promotion des SUV, soit l’équivalent de 1,8 milliards d’euros investis pour des publicités vantant les mérites de ces modèles dont on sait qu’ils sont gourmands en espace public (une denrée rare en milieu dense) et dangereux pour les autres usagers de la rue (en raison de leur masse supérieure). Cela représente, pour chaque SUV vendu en France, un investissement publicitaire de 2300 euros.

E. Valoriser les métiers du transport et leurs conditions de travail

Une autre piste consiste à mettre en avant les métiers du transport (chauffeurs, techniciens, etc.) et à repenser leurs conditions de travail. Sur ce sujet, la France et l’Union Européenne sont en retard. L’Autriche s’est en revanche montrée très volontariste en organisant une campagne massive de publicité sur le recrutement des travailleurs dans les transports, ainsi qu’un travail d’image du métier. Plus largement, c’est l’image des transports en commun qui est à valoriser : transports propres, entretenus, réparés, sécurisés. Ces caractéristiques doivent également faire l’objet de campagnes de communication.

Encadré 6 – Synthèse des propositions

1. Développer considérablement l’offre des transports en commun (bus, trains notamment) ;

2. Renommer les transports scolaires en « transports intercommunaux » et élargir le public bénéficiaire de ces trajets ;

3. Développer le covoiturage et sa visibilité ;

4. Favoriser l’achat et l’entretien des vélos ;

5. Développer les dispositifs de transport solidaire ;

6. Consolider et développer un véritable service public des transports ;

7. Systématiser la tarification sociale sur l’ensemble des transports en commun afin de garantir l’accès pour tou·tes ;

8. Expérimenter la mise en place du « billet unique » pour un trajet complet cumulant plusieurs opérateurs ;

9. Inciter l’ensemble des collectivités à produire collectivement un plan pour les mobilités durables à l’échelle des « bassins de mobilités » ;

10. Penser l’aménagement du territoire et une politique du logement cohérente qui allie davantage les liaisons travail/logement ;

11. Développer et sécuriser des infrastructures dédiées au vélo ;

12. Créer un guichet unique des transports et mobilités ainsi qu’un instrument public recensant l’ensemble des mobilités possibles ;

13. Sensibiliser le public aux alternatives à la voiture individuelle souhaitables et bien vécues ;

14. Encadrer la publicité des véhicules polluants ;

15. Valoriser les métiers du transport et leurs conditions de travail.